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    u n e   s e m a i n e   p l u s   t a r d

     

    Après avoir mangé, les domestiques qui ne travaillaient pas la nuit devaient se coucher tout de suite pour ne pas déranger le bon déroulement du château. Nara m'avait expliqué que le travail des domestiques de nuit consistait à servir les hommes nobles qui se retrouvaient pour boire et que c'était majoritairement les femmes qui le faisaient. Elles devraient, et cela pendant plusieurs heures, rester debout, droites avec une carafe pleine de saké entre les mains. Bien sûr ce qui se disait à ce genre de réunion était secret et les domestiques ne pouvaient pas en parler.

    Pendant toute la semaine, j'avais essayé de rentrer en contact avec le prince, en vain. La journée, Nara ne me quittait pas des yeux et la nuit, le château était trop bien gardé. Mais j'avais enfin trouvé une occasion: ce soir se déroulerait un rassemblement de ce genre dans les appartements d'un proche du prince Anzai et celui-ci était bien sûr convié. J'avais décidé que ce serait le moment parfait pour entrer en contact avec le prince. Les servantes devraient se présenter une heure plus tôt pour préparer le lieu. J'avais repéré l'endroit et à 21 heures précises, j'interceptais une jeune servante.

    - Excusez-moi, chuchotais-je, vous vous rendez chez Tobei-sama ?

    - Euh oui, bégaya-t-elle.

    - Je suis nouvelle dans le château et on m'a ordonné de vous remplacer pour que je vois comment cela se déroule.

    Elle hésita quelques seconde, suspicieuse, je décidais donc de déballer l'arme fatal.

    - C'est ____ qui me l'a ordonné.

    - Oh! Très bien! Vous savez comment vous y prendre? 

    - Oui, on me l'a expliqué. 

     _____ était le chef des domestiques du château, c'est lui qui ordonnait et concordait tout. C'était le pilier de l'organisation.

    La jeune femme partie et je me dirigeais vers les appartements de Tobei-sama. Une fois arrivée, deux autres servantes étaient déjà là mais aucune d'elles ne posèrent de question sur ce changement, ce qui m'arrangeait d'ailleurs. À 22 heures, quatre hommes arrivèrent mais aucun d'eux n'étaientt le prince. Les hommes s'installèrent et commencèrent à boire grossièrement tandis que nous les servions. Ils parlaient de choses et d'autres, sans grande importance. 

    À peu près une heure plus tard, alors qu'il n'y avait presque plus de saké dans ma carafe, le prince Anzai entra enfin dans la pièce.

    - Ah, enfin! As-tu trouvé ce que tu cherchais? dit Tobei-sama. 

    Il sembla vouloir répondre "non" mais son regard se posa sur moi et il eut un sourire narquois.

    - Ça m'a prit du temps, mais oui j'ai trouvé. 

    Il s'assoit sur un des coussins au bord de la table basse et me fit un signe pour que je le serve. 

    - La fille du début de la semaine n'était pas si mal, commença un noble.

    - Laquelle?

    - Celle qui a défié l'Empereur.

    Je me tendis. 

    - Cette petite prétentieuse? C'est vrai que j'aurais aimé qu'elle passe juste pour me la faire. Et toi Anzai, tu en penses quoi? Tu as prit sa défense si je me souviens bien.

    Anzai but son saké d'une traite et me fit signe pour que je lui en remette.

    - Cette fille... j'en ferais mon esclave. 

    Tous éclatèrent de rire tandis qu'à l'intérieur de moi, je brûlais de rage.

    - Fidèle à toi-même! Dit Tobei-sama en me bousculant et je renversais de la boisson sur la table.

    - Excusez-moi. 

    Je me dépêchais d'essuyer ce désastre avec une serviette avant que l'on ne m'apporte trop d'attention mais c'était déjà trop tard, Tobei-sama me regarda déconcerté.

    - Où est Mariko?

    Mariko? La jeune femme que j'avais remplacé? Je n'eus même pas le temps de répondre qu'il reprit en rigolant:

    - Tu conviens très bien de toute façon! Comment t'appelles-tu?

    - Nae.  

    Il valait mieux changer mon prénom.

    - Eh bien Nae, voyons si tu es aussi docile qu'elle.

    Il me pinça les fesses et je sursautais. Les hommes rirent encore une fois. Si j'avais eu une épée entre les mains je les aurais coupé en rondelle, tellement j'étais furieuse. Alors voilà le travail caché des servantes de nuit! Se laisser faire! Et peut-être même plus! Il fallait absolument que je sorte d'ici, et tant pis pour le prince! D'ailleurs, j'avais eu ma réponse et j'étais bel et bien son esclave. Tout d'un coup on me prit pas l'arrière et je tombai sur les genoux... du prince.

    - Désolé, mais celle-là, elle est à moi.

    - Tu veux dire que c'est une nouvelle pour ton..?

    - Elle n'est pas encore entrée officiellement, si tu voix ce que je veux dire, mais oui. 

    Il râla comme un enfant:

    - Tu prends toujours les meilleures Anzai!

    - C'est plutôt les meilleures qui me sautent dessus, comme tu peux le voir.

    Il me serrait fermement contre lui, je ne pouvais ni me lever ni bouger.

    - Monsieur, le service...

    - Laisse faire les autres.

    Les conversations reprirent et j'étais toujours dans les bras du prince, en train d'étouffer. L'incendie qui brulait en moi ne c'était pas éteint, je ressentais plus que de la colère à être humilié de la sorte. Je n'aurais pas dû aller à la capitale, je n'aurais pas du montrer le sabre à l'Empereur et je n'aurais pas dû accepter ce contrat! Comme je le regrettais!

    - Pourquoi es-tu ici? chuchota-t-il soudainement.

    - Je vous cherchais.

    - Si je n'étais pas venue, Tobei t'aurais surement pris à moi, tu ne connais donc pas sa réputation?

    - Eh bien non, justement. 

    Il soupira et me relâcha. 

    - Nae et moi allons vous laisser, dit-il en se relevant et en me prenant par le bras.

    - Déjà? dit un des nobles.

    - Laisse les, répondit Tobei-sama, il va surement l'initier.  

    C'était la deuxième fois qu'il faisait une remarque de ce genre et je ne pouvais faire semblant de ne pas l'entendre mais avant que je ne puisse dire un mot, le prince Anzai me poussa hors de la pièce. Nous traversions plusieurs couloirs en silence, croisions plusieurs gardes jusqu'à enfin arriver dans ses appartements. Cette fois nous n'étions pas dans son salon mais dans son bureau. Il y avait quelques meubles en bois ornés de diverses décorations de luxe, une table où était posé du papier, de l'encre et quelques livres.

    - Ne t'avais-je pas demander d'être discrète? 

    - Je n'ai jamais signé pour être servante, ni esclave d'ailleurs, dis-je froidement. 

    - Tu n'es pas une esclave, soupira-t-il.

    - Pourquoi n'ai-je pas pu choisir combien de temps je vous servirais comme les autres domestiques?! Vous m'avez fait signer un contrat à vie! J'ai été piégé! 

    - Tu as signé ce contrat de ton plein gré. 

    - J'ai cru que c'était la seule option!

    Il ne dit plus rien ce qui me mit encore plus hors de moi.

    - Vous m'avez humilié. Je m'en fiche de ce sabre finalement. Je veux partir.

    - Je t'ai fait une grande faveur en te prenant à mon service. Et puis en toute franchise, je ne pense pas que tu es en droit de te plaindre. Si je ne t'avais pas proposé cela, où serais-tu maintenant? À la rue surement. En train de vendre ton corps et de te morfondre sur ton incompétence en duel de dague...

    - Je ne vous permets pas de...

    - Tais-toi, dit-il sèchement, ton rang ne t'autorise pas à me parler de la sorte. J'ai été beaucoup trop patient avec toi. Je vais te laisser une dernière chance de choisir ton avenir donc écoute-moi bien: soit on annule le contrat et tu seras totalement libre, soit tu continues à faire la domestique et je vais t'expliquer ton véritable rôle. 

    - Mon véritable rôle?

    - Oui. J'allais te l'expliquer ce soir, mais tu m'as devancé. Alors que décides-tu? 

    Tout d'un coup je ressentais une vague de honte face au comportement puéril que j'avais eu mais m'excuser était hors de question. J'avais une soudaine envie de pleurer, et pour ne pas qu'il le voit, je me tournais vers la fenêtre. La ville brillait de mille feux la nuit, c'était magnifique.

    Tout abandonner maintenant serait trop bête. Il fallait que j'assume mes choix et que j'arrête de vouloir revenir en arrière. Mais il fallait également que je me fasse entendre par le prince, et c'était le meilleur moment.

    - Je souhaite continuer le contrat, mais j'ai deux conditions.

    - Lesquels?

    Une légère brise souleva mes cheveux courts. Je repensais à Nara qui partirait avec son fiancé dès qu'elle le pourrait. Je l'enviais tellement.

    - La première est que... lorsque j'aurais trouvé mon bonheur, j'aimerais que vous me laissiez partir. Je ne veux pas être votre esclave. 

    - Ton bonheur, tu veux dire l'amour?

    - L'amour ou autre chose. Lorsque je serais heureuse j'aimerais que vous me laissiez partir, répétais-je. Avec le sabre bien sûr.

     - Je refuse.

    Je me retournais vers lui.

    - Je te laisserais partir un jour, mais c'est moi qui déciderais quand.

    - Très bien, dis-je à contre-coeur.

    - Et la deuxième condition?

    - J'aimerais pouvoir aller en ville quand bon me semble. Pour moi. 

    Il réfléchit quelques secondes avant de dire:

    - Tu n'en profiteras pas pour t'enfuir?

    - Non. 

    Même si c'était une possibilité au cas où ça tournerait mal.

    - Dans ce cas je peux faire quelque chose. 

    Il prit un pinceau et le trempa dans l'encre avant d'écrire sur un papier. Il enroula la feuille et me la tandis. Je m'approchais et la lui pris en disant un petit "merci".

    - Quel est mon véritable rôle? J'espère que ce n'est pas de rentrer dans votre harem! 

    Le prince retrouva son air malicieux, se leva et s'avança vers moi. 

    - J'ai un rôle encore plus intéressant pour toi, me chuchota-t-il à l'oreille.

    - Lequel?

    - Eh bien... Tu le sauras la prochaine fois que nous nous verrons! C'est la punition pour m'avoir désobéi, dit-il fière de lui. Tu peux partir à présent. 

    - Très bien...

    Je me dirigeais vers la porte avant de m'arrêter et de me retourner: le Prince Anzai était en train de regarder la vue comme moi il y a quelques minutes. Je me demandais à quoi il pensait devant ce si beau paysage.

    - Oui? dit-il sans se retourner. 

    Prise de court je posais la première question qu'il me vint à l'esprit mais je la regrettais aussitôt à la vue de son visage déformé par l'espièglerie.

    - L'initiation? Pourquoi? Tu es intéressée?

    - Non... articulais-je rougissante.

    Je franchis la porte à toute vitesse et m'aventurais dans les couloirs à pas de loup, sans un regard en arrière. 

     


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