• Chapitre 4

     

     

    Il bougeait ces pions noirs avec facilité, fluidité. Il mettait hors jeu mes pions blancs sans que je ne puisse agir. Son regard calme ne me regardait même pas pour épier mes réactions si peu nombreuses soient-elles. Une des règles dans les jeux étaient de ne montrer aucune faille sur mon visage. Il devait être dénué d'émotion. 

     - Défaite aux pions blancs. Le dieu de la victoire me protège. 

    Je n'étais pas une mauvaise joueuse, perdre faisait partie des nombreux risques du jeu. 

    - Bien joué! Dis-je en lui tendant ma main qu'il prit avec fermeté. Mais je demande tout de même une revanche. 

    Il sourit amusé par mon obsession. 

    - Tout d'abord ma récompense. 

    - Bien. Que veux-tu? 

    Il fit mine de réfléchir quelques instants avant de dire. 

    - J'aimerais que tu répondes à une question. D'où vient ce sabre? 

    Je le regardais étonné.

    - Tu veux vraiment savoir ça? Ce n'est pas très important tu sais...

    - Tu n'as pas voulu me le dire alors ça attire ma curiosité.

    Je levais les yeux au ciel, dépitée.

    - Ce n'est pas très important tu sais. Il n'y a rien d'incroyable là dedans mais puisque tu y tiens. Ce sabre vient de mon père, il me l'a donné avant son décès. 

    - Et il n'y a pas une histoire derrière? 

    - Tu avais le droit à une question, là ça en fait deux. Si tu veux savoir la réponse il va falloir que tu me battes. 

    - Facile. 

    - C'est ce que tu crois. 

    Et nous recommençons à jouer. Il était très concentré, on voyait qu'il voulait gagner. Qu'il aimait gagner. Mais moi aussi j'aimais gagner. Il déplaça son pion noir à gauche, je déplaçais mon pion blanc à droite et ainsi de suite. Il essayait de me piéger mais il n'avait pas vu que sur ce coup, c'était moi qui le piégeais. Et quand il s'en rendrait compte, il serait déjà trop tard.

    Et ce qui devait arriver, arriva.

    - Défaite aux pions noirs. Le dieu de la victoire me protège.

    Il me dévisagea quelques secondes, fit un sourire énigmatique que je n'arrivais pas à déchiffrer avant de dire d'un ton détendu:

    - Je t'ai sous-estimé, tu es plus forte que ce que je pensais. Tant mieux, ça va être moins ennuyeux. Que veux-tu? 

    - J'aimerais moi aussi te poser une question. Quel âge as-tu? 

    Il sourit légèrement.

    - Je vois que toi non plus tu n'abandonnes pas. J'ai 19 ans.

    J'hochais la tête en signe de réponse. Il avait donc 3 ans de plus que moi. Ça ne m'étonnait pas. On le remarquait dans son comportement, dans sa façon d'être. Il avait l'air plus mature. 

    - Je t'avoue que je ne pensais pas que tu maitrisais aussi bien ce jeu. 

    J'haussais les sourcils. 

    - C'est un jeu traditionnel, il est bien normal que je le maitrise. Tout le monde le maitrise. 

    - Non pas tout le monde. Beaucoup ont oublié comment y jouer. D'autres jeux on prit la place du jeu du dieu de la victoire. Les jeux du hasard sont très réputés maintenant dans la capitale.

    - Des jeux de hasard? Quel en est le sens? On ne peut plus rien prouver avec cela. 

    - J'imagine que ce qui rend ces jeux si populaires est le fait qu'ils sont accessibles à tous. Tout le monde peut gagner sans faire d'effort. Sans réfléchir. 

    Je secouais la tête en signe de désapprobation.

    - Ce qui est bien avec les jeux, c'est montrer de quoi on est capable en se divertissant. Si tout n'est que hasard il n'y a plus aucun but. 

    - Pourquoi me dire ça à moi? Dis le plutôt aux ignares qui y jouent.

     Son ton était froid et ses yeux fixaient l'horizon. Pourquoi se mettait-il dans tous ces états? Pourquoi était-il froid tout d'un coup? Je décidais de ne rien dire et rangeais les pions et la tablette dans leur pochette. Nous finissions sur un ex-aequo et je n'étais pas satisfaite. Ce que j'aimais dans les jeux s'était de vaincre l'adversaire. De voir son visage se déformer sous les pions abattus. Et je n'avais pas pu voir ça avec Zenko. Son visage était resté le même durant les deux parties: serein. Je n'avais pas pu le déstabiliser comme j'aimais le faire en temps normal.

    Le dieu de la victoire me reprochait-il quelque chose?

    * * *  

    Au petit matin du troisième jour, les oiseaux chantaient fort. Le soleil s'était à peine levé contrairement à Zenko qui était déjà prêt pour la route. Je me levais à mon tour et il me servit un bol d'eau. Je le remerciais et bu petit à petit. Il me servit ensuite un bol de riz que j'acceptais volontiers. 

    - Il est temps de nous mettre en route. Nous arriverons à la capitale vers la fin de la journée si tout se passe bien. 

    Je rinçais mon bol d'eau et de riz dans la petite source à quelques mètres de notre campement et nous reprîmes la route. Quelques heures après notre départ, les arbres laissèrent place petit à petit à des habitations et des champs. Nombreux villages avaient élu domicile à proximité de la capitale. Notre passage près de ceux-ci fit tourner l'oeil de quelques curieux tel que des enfants jouant au bord de la route, mais en général personne ne faisait attention à nous, trop occupé à cultiver la nourriture qu'ils allaient vendre à la capitale le jour d'après. J'aimais regarder la vie quotidienne de ces gens. Elle me rappelait mon village, les habitudes des miens. Tout cela m'était familier. 

    D'après la position du soleil, midi approchait à grand pas mais nous ne nous arrêterons pas avant 15 heures. Je proposais donc à Zenko une partie du jeu du dieu de la victoire qu'il accepta sans ménagement. 

    J'étais résolue à le déstabiliser.  J'avais cette fois choisi les pions noirs, c'était ceux que je préférais. Mon père dirait que blanc ou noir n'à aucune importance tant que l'on jouait bien mais j'avais tout de même ma préférence. Le noir contrastait avec le symbole vaincre qui était blanc et qui ressortait de manière exagérée. 

    Le jeu commença. 

    Les pions se déplacèrent sur la planche en bois. Ils glissèrent et éliminèrent leurs ennemis. Ce n'était pas un simple jeu mais une vrai bataille. Et chaque bataille a un vainqueur. Qui de nous deux remportera cette première manche?

    Il était concentré, et comme hier il ne m'accordait aucune attention. Je reportais mon attention sur le jeu. Il venait de me prendre 2 pions, comme je l'avais prévu. Il venait de tomber dans mon piège, allait-il s'en rendre compte? 

    Oui. Il venait de le remarquer. Ses sourcils étaient maintenant froncés et son regard analysait la situation. J'avais enfin réussis à le déstabiliser. Je bougeais mon pion noir et lui prit trois pions d'un coup et j'arrivais à la dernière ligne de sa partie: mon simple pion se transforma en dieu de la victoire. 

    - Beau coup, je n'ai rien vu venir. Mais la partie n'est pas terminé.

    Il prenait vraiment le jeu au sérieux et j'appréciais cela. Emiko n'aimait pas jouer donc elle ne se donnait jamais à fond et cela m'irritait. Hoshi lui était un adversaire redoutable qui prenait le jeu très au sérieux mais j'arrivais tout de même à le battre. Le seul adversaire que je n'ai jamais arrivé à battre était mon père. Il était très fort. C'était lui qui m'avait appris à bien jouer, c'était lui qui m'avait donné toutes les tactiques pour désorienter mon adversaire. Je m'étais toujours demandée comment il était aussi fort mais maintenant c'était une évidence: Le jeu du dieu de la victoire est un jeu de stratège, quoi de plus facile pour le meilleur général de son temps? 

    - Défaite aux pions blancs. Le dieu de la victoire me protège. 

    - Pas mal. Tu as du talent je ne peux le contester. Que veux-tu? Une question je suppose. 

    Et il supposait bien. Je réfléchis un instant. Pas mal de question tournait dans mon esprit mais il fallait que je choisisse la meilleure.

    - Qui t'as appris à jouer comme cela? 

    Il me regarda d'une façon étrange pendant quelques secondes avant de secouer la tête.

    - Obaasan m'a appris les bases quand j'étais petit. J'ai pu m'améliorer à force de jouer avec toutes les personnes qui acceptaient. Malheureusement trouvé une personne qui sait y jouer dans ces temps est difficile comme je te l'ai expliqué. 

    J'hochais la tête. Il n'avait pas eu la même éducation que moi mais nos niveaux s'égalaient tout de même. 

    - Une autre partie? Demande-t-il en remplaçant ces pions.

    - Avec plaisir.

    Et nous recommençâmes. Cette partie était plus tendu que les précédentes mais aussi très longue. Il essayait de me piéger par tous les moyens et il y arriva à la fin alors que nous étions ex-aequo.

    - Défaite aux pions noirs. Le dieu de la victoire me protège. 

    Il avait une voix opaque mais on sentait une légère joie derrière, la joie d'avoir gagné cette partie. Plus la partie durait, plus gagner était satisfaisant. 

    - Tu m'épates.

    Il se contenta juste de sourire.

    - Une question comme d'habitude. Où comptes-tu aller, arrivé à la capitale?

    - Demain, je vais aller voir l'Empereur. 

    Il prit une mine étonnée et me regarda d'un oeil différent mais il ne dit rien de plus. Je comprenais qu'il méditait sur mes dernières paroles. C'était normal après tout qu'il trouve cela étrange: une fille venant du fin fond du pays allait à la capitale pour une audience avec l'Empereur. On ne voyait pas cela tous les jours. 

    J'étais assez fatiguée donc je lui fis par de mon envie de dormir. Il me dit de me reposer et qu'il me réveillera lors de la pause. Et je sombrais dans le sommeil, mes yeux fermés, aveuglés par le soleil. Ce soleil qui me faisait penser au dieu de la victoire, rayonnant, réussissant tout ce qu'il entreprenait. 

    * * * 

    - Nous arrivons doucement à la capitale, me dit Zenko.

    Après notre pose, je m'étais à nouveau endormie. À présent il était nuit, mais nous pouvions distinguer des lumières dans l'horizon, les lumières de la capitale! Une demi heure plus tard nous étions aux portes de la ville la plus importante de l'Empire Yū. Les gardes de la cité firent un contrôle de ce que contenait le chariot et nous entrâmes dans la ville. Je touchais au but. 

    Je ne pouvais m'empêcher de regarder partout. L'heure était tardive mais il y avait foule dans les rues, les lumières que j'avais vues au loin étaient en faite des centaines de lanternes qui ornaient les rues de leur couleur rouge et or. J'étais éblouie. Dans certaines rues les hommes et les femmes étaient ornés de superbes kimono, dans d'autres la joie et la bonne humeur du peuple se faisaient entendre à des kilomètres. 

    Je regardais un instant Zenko et me rendis compte qu'il n'était pas du tout intéressé par ce qu'il se passait autour de lui.  Il devait avoir l'habitude de ce paysage. 

    - Tu sais où passer la nuit? Me demanda-t-il soudainement.

    J'avouais ne pas avoir pris la peine de réfléchir à cette question. Si nous étions arrivée quelques heures plus tôt j'aurais pu aller tout de suite au château mais les audiences étant sans doute fermé la nuit, je me retrouvais à la rue. De toute façon rien ne me certifiait que l'Empereur m'aiderait à trouver un logement. Je devais lui rendre le pendentif, c'était la dernière requête de mon père. Mais ensuite? Je serais sans doute à la rue, l'Empereur n'accordera surement pas d'importance à quelqu'un venue de nul part. Je ne savais pas qu'est-ce que je m'étais imaginée mais maintenant que j'étais arrivée, tout devenait clair: Mon père avait été un grand général à son époque mais moi je n'étais rien appart une orpheline, pauvre et sans abris. Que pourrais-je donc espérer? 

    - Je ne sais pas, répondis-je enfin.

    Il tourna son regard vers moi. 

    - Je pourrais te loger pour la nuit, proposa-t-il.

    - C'est gentil mais j'ai déjà assez abusé de ta gentillesse. Je ne veux pas te déranger plus longtemps.

    Il ne renouvela pas sa proposition et il me déposa au coin de la rue principale. Sans doute étais-je bête de ne pas avoir accepter mais si je devais être seule, autant l'être du début. 

    J'entrais dans la première auberge que je vis et expliquai ma situation au propriétaire: je cherchais un logement pour la nuit mais je n'avais pas d'argent. Il me refusa l'entrée comme je pouvais m'y attendre. Et chaque auberge où je me rendais avaient la même sentence jusqu'à ce que j'entre dans une petite auberge dans une des rues perpendiculaire à la rue principale. Elle était dirigée par une femme qui eu sans doute pitié de moi... Je n'aimais pas provoquer ce sentiment mais au point où j'en étais, je ne devais pas faire ma fine bouche. Elle ne m'installa pas dans une chambre mais dans le grenier avec un futon. Je ne lui en voulais pas, elle était déjà assez gentille de m'héberger gratuitement. 

    Vers le milieu de la nuit, alors que l'auberge était silencieuse, je descendis du grenier et me dirigeais vers les onsen. Je n'en avais bien sûr pas la permission mais il fallait que je prenne un bain avant de voir l'Empereur. J'espérais que personne n'avait eu la même idée que moi, surtout que les sources étaient mixtes. Arrivée là, il n'y avait personne. Je me déshabillais et entrais vite dans la source. La chaleur me piquait la peau et elle contrastait avec l'air froid du printemps. 

    Je fermais les yeux et attendis que le temps passe. Que c'était bon de se reposer, de ne penser à rien. Je me serais endormie si je n'avais pas eu peur de me noyer. Mais il fallait que je sorte sinon j'allais faire un malaise.

    Tout d'un coup, j'entendis la porte s'ouvrir et un léger bâillement inondé le silence habituel. Prise au piège je ne savais pas quoi faire, j'étais comme pétrifié. La vapeur m'empêchait de bien distinguer la silhouette, je ne savais donc pas si c'était un homme ou une femme. Et si c'était la gérante? Je serais morte de honte et je dormirais dans la rue alors qu'elle avait été si bonne avec moi. 

    La personne se déshabilla et entra dans la source. Apeurée, je m'étais recroquevillé au fond de la source. Il n'y avait malheureusement pas d'endroit où se cacher. 

    - Il y a quelqu'un? Dit une voix d' homme.

    Horreur!

    J'étais en ce moment même dans une source avec un homme non identifié. Et si il avait de mauvaise intention? Je me mis à respirer lentement. J'étais préparée à me battre, mon père m'avait entrainé au combat corps à corps. Certes l'eau ralentirait mais mouvement mais j'aurais quand même assez de temps pour fuir. 

    Mais que faire? Lui répondre? Il devait surement avoir vu ma silhouette comme je voyais la sienne. Il ne fallait pas qu'il voie que j'étais déstabilisée.

    - Oui, dis-je d'une voix que je voulais assurée. 

    - Je ne pensais pas qu'il y aurait quelqu'un à cette heure-ci. 

    D'après sa voix il était jeune, la vingtaine surement et peut-être même moins. Il devait lui aussi avoir identifié que j'étais une fille, et jeune qui plus est. Je ne pouvais plus sortir maintenant, les kimono d'après bain se trouvaient à l'autre extrémité de la source, c'est-à-dire à côté de lui. Je devais donc attendre qu'il sorte. Mais il faisait chaud et ça faisait surement plus d'une heure que j'y étais. Mon corps était tout rouge il fallait que je sorte. Ma respiration se fit bruyante et allaitante.

    - Vous sentez vous bien? 

    On sentait dans sa voix une sorte d'amusement. Il était amusé par la situation.

    - Oui. Non. Je meurs de chaud à vrai dire. 

    Et ce n'était pas seulement une hyperbole, je sentais ma tête tourné tellement j'avais chaud. Je pouvais faire un malaise à tout moment mais j'essayais de rester consciente. Au bout d'un petit moment c'était trop dur. Je touchais mon pendentif et m'évanouie. 

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 8 Juillet 2017 à 12:46

    Ce fut très intéressant, j'ai hâte de lire la suite, merci.

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