• Chapitre 3

     

    Je ne savais combien de temps s'était écoulé depuis notre départ du village. Je m'étais endormie comme me l'avait conseillé Zenko et en un claquement de doigt le soleil illuminait la terre, haut dans le ciel. Le paysage n'avait pas changé par contre: l'horizon était toujours vert de feuillages. 

    - Tu es réveillée? Me demanda Zenko. 

    Il regarda vers moi et avant que je ne puisse répondre il continua:

    - Bien. Dans ce cas nous allons faire une pose et manger le déjeuner que Obaasan' nous a préparé. Mais d'abord... 

    Il tira sur les rennes du cheval et descendit de la charrette pour aller à l'arrière. Il prit un seau d'eau et une carotte et alla les donner au cheval. Il lui fit quelques caresses tandis que le cheval soufflait de bonheur. Puis il revint dans la charrette et recommença à chercher quelques secondes à l'arrière avant de trouver deux boites en bois adroitement poli. Il m'en donna une sans me regarder et commença en manger sans se poser dix mille questions.

    Autant sa famille est d'une extrême gentillesse, pensais-je, autant lui n'est pas très courtois. 

    J'ouvris aussi mon bento, pris les baguettes et commençai à manger: c'était du riz avec des algues séchées comme ce matin mais des petits poissons fraichement pêchés accompagnait le repas. C'était très gentil de la part de la vieille dame de nous avoir fait le repas et j'étais sûre qu'elle s'était levée très tôt ce matin pour pêcher les poissons et préparer nos bento. Je la remerciais dans ma tête et commençais le repas. 

    - Je pensais que tu parlerais plus, je dois dire, dit soudainement mon compagnon de voyage.

    - Tu veux que je parle plus? Demandais-je innocemment. 

    - Surtout pas, ça m'emmerderait* plus qu'autre chose. 

    J'écarquillais les yeux. Avait-il prononcé une injure? Ma nourrice m'avait toujours dit que les injures étaient une attaque aux dieux. Quiconque en prononcerait serait maudit par le dieu de la vengeance. Zenko me regardait à présent, avec un sourire au lèvre comme si il se moquait de moi. Il avait compris par quoi j'étais indignée et sans moquait ouvertement. Et en plus de cela, même sans grossièreté, sa remarque était très mal polie. 

    - Blesser peut-être? Dit-il abordant à son tour un air innocent. 

    - Pas le moins de monde. Par contre le dieu de la vengeance va se retourner contre toi.

    Il éclata de rire.

    - Ne me dis pas que tu crois à ces histoires! Les dieux n'en ont rien à faire. Le monde évolue, plein de gens disent des injures de nos jours. 

    Je restais persuadé du contraire. Les dieux étaient des êtres à respecter et qui n'aimaient pas que l'on se moque d'eux. Une injure était synonyme de vengeance.  Mon père était l'une des rares personnes dans notre village -et peut-être même dans l'Empire- à ne pas croire aux dieux, c'était donc ma nourrice qui m'avait raconté tout ce que je savais à présent sur les dieux.

    Les huit principaux dieux sont: la vengeance, le pardon, l'amour, la guerre, la victoire, la défaite, le mensonge et la vérité. Un des contes de mon enfance expliquait que ces huit dieux formaient des paires: le dieu de la vengeance avec la déesse du pardon, la déesse de l'amour avec le dieu de la guerre, celui de la victoire avec celle de la défaite et le dieu du mensonge avec la déesse de la vérité.

    Les contraires font paires comme disait ma nourrice en riant

    - Eh bien oui j'y crois, répondis-je après un long moment. Il ne faut jamais provoquer la colère des dieux. 

    Il me regarda comme désespéré mais je gardais la tête haute.

    La déesse de l'amour me récompensera, pensais-je.  

    Nous continuâmes notre repas en silence. Ce n'était pas un moment particulièrement gênant, c'était un moment où nous étions chacun dans nos pensées tout simplement.

    - Comment peux-tu en être sûr? Que le dieu de la vengeance se vengera, précisa-t-il devant mon incompréhension. 

    - Je ne suis sûre de rien, expliquai-je calmement, je préfère juste ne pas tenter les dieux. Le dieu de la vengeance peut nous punir de notre acte de bien des façons. Il peut s'en prendre à quelqu'un de notre famille par exemple, et si jamais ça arrivait je ne me le pardonnerais jamais.

    Je me tournais vers Zenko: ses sourcilles étaient froncés, ses poings serrés et ses yeux fixaient un point dans le paysage: il semblait être en colère. 

    - Foutaises, murmura-t-il.

    J'ignorais sa remarque et ferma mon bento que j'avais, à présent, fini. Lui aussi ferma son bento mais de manière bien plus brutal. Il descendit prendre le seau déposé près du cheval, le mit à l'arrière, et nous continuâmes notre route. À présent l'ambiance était réellement tendue. Lui ne parlait pas et semblait toujours en colère tandis que moi je me demandais quelle mouche l'avait piqué. Ou peut-être avais-je dis quelque chose de mal? Je repassais ce que j'avais dit dans ma tête: 

    " Je préfère juste ne pas tenter les dieux. Le dieu de la vengeance peut nous punir de notre acte de bien des façons. Il peut s'en prendre à quelqu'un de notre famille par exemple, et si jamais ça arrivait je ne me le pardonnerais jamais. " 

    Cette phrase reflétait juste mon opinion, rien d'autre. Je me repassais alors clairement la scène dans ma tête. Sa question, ma réponse et sa réaction. Pour l'instant je ne pouvais pas tirer de conclusion de sa réaction car je ne le connaissais pas vraiment. Mais j'étais sûre que les rouages de son cerveau n'arrêtaient pas de tourner depuis ma réponse. Ça j'en étais sûre.

    * * *

    - Nous dormirons ici cette nuit. L'endroit me semble idéal pour éviter le vent et garder le feu.

    J'étudiais le lieu en question: C'était à moitié sous les arbres et à côté d'une énorme roche. Il avait raison, le vent ne serait pas notre ennemi ce soir car il semblerait que la roche coupait tous les courants d'air qui pourrait nous atteindre. Et en cas de pluie, les arbres à épais feuillage nous protégeront. L'endroit était parfait, il avait l'oeil. Mais il aurait été plus que parfait si il y avait un point d'eau pas loin. 

    Je me retournais vers lui qui me jaugeait du regard depuis un moment déjà. Dès qu'il comprit que je l'avais surpris, il se retourna vers le cheval et commença à lui caresser le museau. Cette fois le cheval ne lui prêtait guerre attention: il mangeait de l'herbes sèches qui se trouvaient par terre et Zenko lui avait placé un seau d'eau devant lui. Il adorait son cheval, ça se voyait. 

    Je me dirigeais vers l'arrière de la charrette pour prendre ce que nous aurions éventuellement besoin ce soir. Je pris deux couvertures en peau d'animal et m'écroulais sous leurs poids.

    - Attention, me dit Zenko en m'aidant à me relever. C'est lourd, je vais le porter. 

    Et il partit en portant avec une facilité impressionnante les deux couvertures. J'examinais à nouveau le coffre de la charrette: il y avait quatre autres bento, trois autres seaux remplies d'eau ou de nourriture pour le cheval et deux verres que l'on avait utilisé dans l'après-midi pour boire un coup. Il y avait aussi une caisse en bois qui devait appartenir à Zenko et je préférais donc ne pas y toucher. 

    Je retournais au près de Zenko qui était en train d'allumer du feu et m'assis à ces côtés. Ces gestes étaient habiles quand il frottait les deux pierres l'une contre l'autre. Des petites étincelles naissaient de temps en temps mais le feu ne venait toujours pas. Il patientait calmement, on voyait que ce n'était pas la première fois qu'il allumait du feu. Tout à coup, le feu se répandit sur le bois et paille et quelques secondes plus tard il était énorme.

    Il se retourna, prit une des couvertures et dit:

    - Demain nous nous lèverons à l'aurore, je te conseille donc de dormir. 

    Et il ferma les yeux, signe que je ne devais plus le déranger. Je pris donc moi aussi une couverture et m'installais de l'autre côté du feu. Les étoiles brillaient dans le ciel, caché partiellement par les feuilles des arbres. La fumée du feu montait dans le ciel comme une âme qui avait finit de vivre sa vie. Je touchais alors le collier dans mon cou.

    Encore deux jours de voyage, pensais-je. Avec Zenko. 

    Je n'arrivais pas à comprendre Zenko: il avait des réactions qui me dépassait. Il parlait peu mais quand il parlait il avait le don de calmer la nature. Il était mystérieux, certes, mais on pouvait discerné un autre côté de sa personnalité sous ces airs mystérieux. Il avait l'air replié sur lui même sous ces airs taciturnes.

    Je secouais la tête.

    Arrêtons de penser à lui, dans deux jours je ne le reverrais plus de toute façon. Fermons plutôt les yeux et dormons.

    * * * 

    Je me retournais sans cesse dans tous les sens tandis que le sommeil ne venait pas. Je ne savais combien de temps était passé depuis le moment ou j'avais décidé de dormir. Peut-être trente minutes, peut-être deux heures. Le ciel était le même, les feuilles bougeaient avec le vent et la fumée montait toujours vers les étoiles. 

    Je décidais de faire quelques pas pour me dégourdir les jambes. Peut-être trouverais-je quelque chose d'intéressant dans les alentours. Une fois levé, je regardais Zenko: Son dos était tourné vers moi, il dormait sans doute. 

    Je détournais mon regard de lui et marchais droit devant moi. Mes chaussures écrasaient les fines herbes vertes tandis que l'on pouvait entendre les insectes bourdonner et les lapins sauter. C'était une ambiance paisible de soir de printemps. J'adorais l'odeur de la forêt en cette période de l'année. J'avais un ami dans mon village, Hoshi, qui toquait toujours à ma fenêtre les soirs comme celui-ci. Et ensemble nous allions dans les collines pour admirer les étoiles. Hoshi était la joie de vivre incarné. Il était flegmatique et pour lui l'amitié était sacrée. Il était une des personnes qui me manquait le plus avec Emiko, mon amie d'enfance. Depuis toutes petites nous ne nous quittions pas. Emiko avait un esprit aventureux et passionnant. Elle était séduisante et extravertie. 

     Je soupirais. 

    Je ne leur avais même pas dit adieu. J'imaginais très bien leurs têtes quand on leur a dit que j'étais partie. Ils essayeraient surement de garder la tête haute. Emiko cacherait sa tristesse sous des remarques acerbes tandis que Hoshi sourirait faussement en disant « Je savais qu'un jour elle nous ferait un coup comme celui là! »

    Je trébuchais sur une branche et me rattrapais contre un arbre. Et sans m'en rendre compte, je pleurais. Je ne regrettais pas d'être partie de chez moi, ça non, je ne pouvais pas le regretter car c'était ce que j'avais toujours voulu. Je regrettais leur amitié. Je n'allais surement plus jamais les voir, et c'était ce qui me faisait le plus de mal. Hoshi et ces cheveux blonds, Emiko et sa beauté naturelle. 

    J'essuyais mes larmes sur ma manche et continuais plus prudemment mon chemin.

    Cette promenade n'a servi à rien, pensais-je, je suis encore moins fatiguée que tout à l'heure. 

    Je décidais donc de rentrer. Le chemin ne devrait pas être trop compliquer à retrouver, j'avais marché tout droit jusqu'ici. 

    Et comme je m'y attendais, je retrouvais rapidement l'endroit du campement. Le feu, le cheval, Zenko. Rien n'avait bougé, tout semblait normal. Je m'enroulais dans la couverture et fermais les yeux.

    - Où es-tu allée?

    - J'ai juste fais une petite promenade, répondis-je sans ouvrir les yeux.

    - Ne refais plus ça, c'est dangereux. 

    Je ne répondis pas et sombrais dans le sommeil. Mon rêve fut un mélange de sabres, de questions et d'odeur de feu. Une nuit comme les autres depuis la mort de mon père. 

    * * *

     Nous avions repris la route depuis à peu près deux heures. Je le savais grâce à la position du soleil dans le ciel. C'était ma nourrice qui m'avait appris tout ce que je savais aujourd'hui. C'était comme une deuxième mère. Mon père aussi m'avait appris des choses: les arts martiaux par exemple. Je savais manier le yumi, ce grand arc qu'affectionnait particulièrement mon père, le katana qui était l'arme traditionnel, et un wakizashi qui était un petit sabre entre 30 et 60 cm que l'on recevait à nos 15 ans. J'avais reçu le mien l'année dernière mais je ne l'avais pas pris avec moi. Je l'avais laissé dans mon village, avec mon ancienne vie. 

    Je serrais mon katana avec ma main droite. C'était l'unique objet qui me restait. 

    - D'où vient ce sabre? Me questionna Zenko.

    Je n'avais pas envie de lui répondre, ça ne le concernait pas d'ailleurs il n'insista pas. Et nous continuâmes notre chemin en silence. 

    - Quel âge as-tu Zenko? 

    Cette question me perturbait depuis un moment. Il était plus vieux que moi, ça s'en était certain. Mais plus vieux à quel point? Deux ans? Quatre ans? 

    Il ne me répondit pas non plus. 

    Et le silence nous emporta une fois de plus. Je ne supportais pas ça. J'aimais le silence, je pouvais rester des heures à écouter la nature mais ce silence là était malsain. Pesant. C'était comme si on avait peur de parler.

    - Jouons, dis-je soudainement.

    Il me regarda abasourdie.

    - Et jouer à quoi? 

    - Jouons à... se poser des questions.

    - Ce n'est pas un jeu ça. Dans un jeu il doit y avoir un gagnant et un perdant, sinon ce n'est pas intéressant. 

    Et je ne pouvais que être d'accord avec ça. Jouer sans enjeux était une perte de temps. 

    - Dans ce cas peut-être connais-tu un jeu?

    Il fit mine de réfléchir.

    - Nous pouvons jouer au jeu du dieu de la victoire.

    Le jeu du dieu de la victoire était un jeu stratégique. Ce jeu se jouait sur une planche en bois qui avait 100 cases noirs et blanches. Les deux joueurs disposaient de 20 pions chacun -blanc ou noir en fonction de l'équipe- que l'on disposait sur les cases noir. Le but du jeu était de se débarrasser de tous les pions de l'équipe adverse en sautant par dessus en diagonale sans pouvoir retourner en arrière. Si un des pions d'une des équipes arrivait à aller dans la dernière ligne de la planche de l'équipe adverse, ce pion ce transformerait en dieu de la victoire, qui pouvait se déplacer en arrière ou en avant sur les cases libres successives de la diagonale qu’il occupait.

    - Tu en as un maintenant? Demandais-je étonnée.

    - Il se pourrait bien. 

    - Et quel sera la récompense du gagnant et le châtiment du perdant?

    Il sourit. 

    - À toi de choisir.

    Je fis mine de réfléchir un instant.

    - Eh bien... le vainqueur pourrait demander ce qu'il veut au perdant. Que ce soit quelque chose de physique ou de moral. Ce serait une sorte de récompense pour le vainqueur et un châtiment pour le perdant.

    Il sembla convaincu et me demanda de tenir les rennes, le temps qu'il cherche le jeu. D'ailleurs je pensais bien m'en sortir car j'aimais beaucoup ce jeu. Je battais toujours Hoshi et Emiko grâce à mes stratégies.

    Surtout parce que tu connaissais leurs faiblesses, me souffla ma conscience. 

    Il était vrai que je connaissais leur faiblesses mais je connaitrais aussi bientôt celle de Zenko. Il fallait seulement que je joue bien. 

    - Ça ne va pas poser de problème le fait que nos yeux ne surveillent pas la route?

    - Ne t'inquiète pas, répondit-il simplement. 

    Quand il trouva le jeu, il mit en place les pions. Les pions était ronds avec un caractère graver dessus. Le caractère voulait dire: Vaincre. Tout simplement. Pourtant ce simple mot mettait une pression en plus sur le jeu. 

    - Que la partie commence, dit-il simplement.

    Il avait choisi les pions noirs, je serais donc les blancs. 

    Que la partie commence.  

      

     

    Note de l'auteur

    * Concernant l'insulte "emmerder", je me doute bien que l'on ne disait pas ça à l'époque au se déroule l'histoire, mais il me fallait une vrai insulte sinon ce serait ridicule. Si j'avais dit "enquiquiner" ou "embêter" à la place d'emmerder, le reproche d'Hanae n'aurait aucun sens. 

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  • Commentaires

    1
    Mardi 18 Avril 2017 à 13:05

    Oooh excellent chapitre !! Merci beaucoup ^^

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